La badiene de Rufisque

Publié le par Koukla Tabi

Je suis allée ce week-end, rendre visite à Ndeye Fatou, une femme d'une cinquantaine d'années, qui habite Rufisque dans la banlieue de Dakar et qui reçoit des femmes, jeunes et moins jeunes et parfois quelques hommes pour les conseiller dans leur vie conjugale et sexuelle.

 

Ndeye Fatou attaque d'emblée en expliquant que la transmission de ce qu'était être une femme au foyer qui s'occupe de son mari se perd et qu'elle est là pour enseigner l'art d'être une femme avec un grand F. Elle pourrait être une sorte de "badiene" des temps modernes. [1]

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Elle prône un dévouement et une attention sans faille à son mari sans jamais que l'on ne ressente de soumission de sa part, j'ai plutôt eu l'impression qu'il s'agissait de contrôler son attitude en poursuivant un but bien précis : obtenir les faveurs de l'époux.

 

 "Nos mères étaient soumises, nous devons être audacieuses", estime Ndeye Fatou, dans la pièce baignée d'une douce lumière et empli du parfum de graines odorantes où elle nous reçoit. "Nos mères n'osaient même pas regarder leur mari et nous n'en sommes plus là".  

 

 Pour conserver son homme, ce qui est, selon Ndeye Fatou, le problème numéro un des femmes qui la consulte, il n'y a pas trente-six solutions : il faut que l'épouse devienne une vraie " djekk", une femme qui sait tenir sa maison et son époux grâce à un ensemble codifié de pratiques et de bons comportements. Le but de cette attitude est de "marquer son territoire", un conseil absolument essentiel dans un contexte culturel où la polygamie est encore répandue.

 

"Je conseille aux jeunes filles de toujours servir un verre d'eau à leur mari quand il rentre, en faisant une petite révérence, on peut même mettre un genou à terre et rester dans cette position jusqu'à ce qu'il ait fini", dit Fatou Ndeye, en alliant le geste à la parole pour montrer l'exemple. Ensuite, il existe tout un rituel pour lui laver, sécher et masser les pieds.

"Votre mari rentre fatigué, vous devez le soulager", explique-elle. Ce massage qui se fait à la vue et au su de tous, a pour but de mettre dans de bonnes conditions votre époux.

"A table, vous devez partager les morceaux de viande entre les convives et vous, vous ne devez que picorer. Vous devez mettre votre main sous la bouche de votre mari afin qu'il puisse y cracher ses os de poulets", poursuit-elle.

 

Parallélement à ce dévouement, la femme doit tout au long de la journée " préparer le terrain", entendez "aiguisez l'appétit sexuel" de son cher et tendre. Il faut que la femme soit une "Mokk Potch", un terme qui signifie sexy, allumeuse, coquine, coquette mais aussi attentionnée et hardie...

 

Pour cela, la femme sénégaise ne manque pas d'artifices. "Il faut changer de béthios tous les jours et ne jamais sortir les reins nus", assure Ndeye Fatou. Les béthios, sont des petits pagnes tricotés (comme des résilles) de couleurs et formes variées, placé sous un pagne plus grand. Ces sous-vêtements dont la vue est réservée au mari, peuvent bien sûr être apperçus "par mégarde", lorsqu'une femme marche, ou s'assoit...

 

Les perles (bins-bins) nouées autour des reins sont en bois, en verre, en céramique ou encore en plastique et peuvent être de tailles, de formes et de couleurs différentes. Disposées en plusieurs rangs, elles cliquêtent lorsque la femme bouge son bassin.

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Demandez à vos amies féminines, si elles ont déjà entendu ce bruit dans les rues de Dakar, il y a des chances qu'elles vous répondent "non", alors que vos amis vous diront probablement "oui", preuve que les femmes savent faire entendre leurs bins-bins comme un appel, une promesse, une provocation... A chaque occasion ses bins-bins, les perles de bois conservées dans des boites au milieu de parfums capiteux sont sorties pour les grandes occasions...Les bins bins servent aussi de rempart contre la jalousie, et on dit que le rang de perles se casse si quelqu'un vous veut du mal...

 

Interrogé sur les co-épouses qui frottent comme des forcenés  leur petit pagne au lever du jour et les font sécher dans la cour commune pour exacerber les sentiments des rivales, Ndeye fatou considère que ce n'est pas fair-play.

"Parfois, le couple n'a rien fait du tout la nuit, c'est juste pour créer un mauvais climat, je le déconseille fortement". 

 

encens.jpg'Il ne faut pas mettre d'encens tous les jours, car ce qui brise les couples, c'est la monotonie, l'encens doit rester exceptionnel", détaille encore Ndeye Fatou. Le thiouraye, cet encens qu'on brûle sur un morceau de charbon de bois, attise les sens et Ndeye Fatou conseille parfois d'utiliser simplement des eaux de Cologne légères pour parfumer sa maison.

 

Elle conseille aussi l'utilisation de pagne de l'amour, pagne de la nuit (serou goudi) ou encore "pagne porno", qui sont des draps peints ou brodés représentants des scènes érotiques colorées dans un art naïf, sorte de kama-sutra à l'africaine. "Toutes les nouvelles épouses devraient avoir ce genre de pagnes en arrivant chez leur mari", assure Ndeye Fatou. "On utilise les armes de nos mères et on ajoute nos ingrédients", dit-elle encore en expliquant que sa propre mère n'utilisait pas, à sa connaissance, ce genre d'artifices.

 "Ces pagnes sont à préférer aux DVD pornos, juge-t-elle encore. "Les DVD ou internet, c'est peut-être excitant mais ce n'est pas la vraie vie, alors que les pagnes de l'amour stimulent l'imagination".

 

Cependant tous ces artifices ne peuvent garantir la fidélité du mari.  "C'est comme si on était en guerre, tu peux avoir les meilleures armes du monde, il faut bien viser pour pouvoir tirer et atteindre ton but".

 

Mais alors quel est donc le secret des secrets qui permettrait d'atteindre ce but ? L'AUDACE répond sans hésiter Ndeye Fatou et aussi la COMMUNICATION. "Il ne faut pas attendre que l'homme fasse le premier pas, il ne faut pas hésiter à prendre les devants et parler avec lui".

 

Mais tous ces artifices tournés vers le plaisir masculin me donne le tournis et j'interroge Ndeye Fatou sur le plaisir féminin dans une société où bon nombre de femmes sont excisées.

 

 "Quand tu n'as pas de plaisir, il faut le dire, c'est celà être audacieuse, montrer ce dont tu as besoin, il faut dire à ton mari  'je veux ça, j'ai besoin de ça, car tu es mon homme'. "Mais il ne faut jamais faire d'histoires, il vaut mieux attendre le lendemain matin pour parler car le soir la femme est énervée".

Les femmes excisées ont, selon elle, plus ou moins de sensibilité et Ndeye Fatou préconise de "chercher les autres endroits". Mais malheureusement certaines femmes souffrent tellement, qu'elles sont recroquevillées sur elles-mêmes et ne peuvent s'épanouir. Dans les cas extrêmes, quand les produits naturels qu'elle propose pour nettoyer le corps ou soulager la douleur ne suffisent pas, Ndeye Fatou renvoie vers la médecine générale et sait que pour ces femmes, être une "mokk potch" s'avérera difficile. "J'essaye de toujours donner de l'espoir car une femme peut toujours cajoler et consoler son mari, a-t-elle encore dit. 

 

 

 

[1] Traditionnellement, la badiene, la tante maternelle est la personne qui, dans la société wolof, accompagne la jeune fille dans les préparatifs du mariage et la conseille pour devenir une vraie "djekk", une femme qui sait tenir son ménage et son homme.

 

 

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Publié dans Vie quotidienne

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